lundi 19 décembre 2016

La MDMA et l'anxiété sociale

"Nous étudions le potentiel de la MDMA, lorsqu'elle est utilisée conjointement à une psychothérapie, pour traiter l'anxiété sociale chez les clients autistes adultes. Nous ne soutenons pas l'idée que l'autisme lui-même est une maladie ou un trouble, et nous ne soutenons pas les tentatives de le traiter ou de le "guérir". Notre souhait est d'améliorer la qualité de vie des personnes autistes." - Nick Walker   

Traduction d'une interview de Nick Walker : Traiter l'anxiété sociale chez les adultes autistes avec une psychothérapie assistée par la MDMA. 


- - - 

[Note de la traductrice (ndlt), mise en garde: la MDMA ( 3,4-méthylène dioxy-méthamphétamine) est le principe psychoactif de l'Ecstasy, cependant "MDMA" et "Ecstasy" ne sont pas synonymes! La MDMA est la substance pure utilisée dans les études cliniques, précisément dosée, alors que l'Ecstasy contient une dose indéterminée de MDMA, parfois pas de MDMA du tout ou au contraire une dose massive, et qu'elle peut être "coupée" avec différentes substances plus ou moins dangereuses]

- - -

Nick Walker est autiste, éducateur, auteur, conférencier, universitaire transdisciplinaire et professeur d'aïkido. Il est enseignant au sein des programmes de psychologie et d'arts libéraux de premier cycle (?) de la Sofia University, et dans le programme des Etudes Interdisciplinaires au California Institute of Integral Studies. Il a un master en Counseling Psychotherapy (conseils psychothérapiques) et une ceinture noire d'Aïkido (6ème dan). Il est le fondateur et instructeur-chef du Aikido Shusekai, un dojo d'aïkido à Berkley, en Californie. Nick a été impliqué dans le développement de la communauté et de la culture autistique depuis 2003, c'est un activiste de première ligne de la neurodiversité, un conférencier et consultant très demandé dans le domaine de l'autisme.
Son blog: http://neurocosmopolitanism.com/

Il est interviewé par le Dr Alicia Danforth, chercheuse clinicienne au Los Angeles Biomedical Research Institute, au Harbor-UCLA Medical Center, où elle travaille depuis 2004 sur les études médicales des psychédéliques, avec le chercheur principal: Charles Grob. Depuis 2013, elle est diplômée de l'Institut de Psychologie Transpersonnelle (Institute of Transpersonnal Psychology). Pour son mémoire, sa recherche portait sur les expériences vécues par des adultes du spectre autistique avec la MDMA (Ecstasy). Elle est la co-chercheuse de la nouvelle étude clinique financée par l'association MAPS sur la thérapie assistée par MDMA pour les autistes adultes souffrant d'anxiété sociale (voir la page dédiée). Alicia a rencontré Nick Walker alors qu'ils étaient invités au Visionary Voices Salon à San Francisco en 2009, où il l'introduisit au concept de neurodiversité. Elle travaille en tant que postdoctorante dans un cabinet privé de psychothérapie, au Los Angeles Counseling Center, afin d'obtenir une licence de psychologue clinicienne, sous la supervision du Dr. Adam Sheck.
Son email: adanforth@labiomed.org


Dr Alicia Danforth (AD): Quelle est votre définition de l'autisme?

Nick Walker (NW): L'autisme est une variante neurologique humaine, avec une base génétique. L'ensemble complexe de caractéristiques entremêlées qui distinguent la neurologie autiste de la neurologie non-autiste n'est pas encore entièrement compris, mais les découvertes récentes indiquent que la distinction majeure est que les cerveaux autistes se caractérisent par des degrés particulièrement élevés de connectivité et de réactivité synaptiques.Cela tend à rendre l'expérience subjective des autistes plus intense et chaotique que celle des non-autistes. A la fois sur le plan sensori-moteur et cognitif, l'esprit autiste tend à enregistrer plus d'information et l'impact de chaque brin d'information tend à être à la fois plus fort et plus imprévisible.

L'autisme est un phénomène développemental, ce qui signifie qu'il commence in utero et a une influence généralisée sur le développement, à de nombreux niveaux, tout au long de la vie. L'autisme produit des façons atypiques de penser, de bouger, un traitement atypique des interactions, un traitement atypique des informations cognitives et sensorielles. Une analogie bien connue consiste à dire que les autistes ont un "système d'exploitation" neurologique différent de celui des non-autistes [par comparaison aux "systèmes d'exploitation" des ordinateurs: Windows, Linux, Mac... - ndlt].

Selon des estimations récentes, environ 1 à 2% de la population mondiale est autiste. Alors que le nombre d'individus diagnostiqués autiste augmente de façon continue depuis quelques dizaines d'années, des données récentes indiquent que l'augmentation des diagnostics résulte d'une meilleure sensibilisation du public et des professionnels [meilleur dépistage - ndlt] plutôt qu'en une augmentation réelle de la prévalence de l'autisme.

En dépit de similarités neurologiques sous-jacentes, les autistes sont très différents les uns des autres. Certains autistes démontrent des talents cognitifs exceptionnels. Cependant, dans le contexte d'une société conçue en fonction des besoins sensoriels, cognitifs, développementaux et sociaux des non-autistes, les autistes sont presque toujours handicapés à un certain niveau - parfois de façon très évidente, parfois plus subtilement.

C'est dans le domaine des interactions sociales que les autistes tendent à être systématiquement handicapés. Pour un enfant autiste, l'expérience sensorielle du monde est plus chaotique et plus intense que pour un enfant non-autiste et les efforts constants pour naviguer à travers cette expérience et pour l'intégrer nécessitent plus d'attention et d'énergie de la part de l'enfant autiste. Cela signifie que l'enfant autiste a moins d'attention et d'énergie disponible pour se concentrer sur les subtilités des interactions sociales. Les difficultés à satisfaire les exigences sociales des non-autistes causent souvent un rejet social, qui aggrave d'autant plus les difficultés sociales et gêne le développement social. Pour cette raison, l'autisme a souvent été mal interprété comme un ensemble de "déficits sociaux et déficits de communication", par ceux qui ignorent que les challenges sociaux auxquels font face les autistes sont simplement les conséquences de la nature intense et chaotique de l'expérience sensorielle et cognitive autistique.

L'autisme est toujours très largement considéré comme un "trouble", mais cette vision a été remise en question récemment par des partisans du modèle de la neurodiversité, qui définit l'autisme et les autres variantes neurocognitives comme faisant parti du spectre naturel de la biodiversité humaine, telle les variantes ethniques ou les variantes des inclinations sexuelles (qui ont aussi été "pathologisées" par le passé). Au final, décrire l'autisme comme un trouble représente un jugement de valeur plutôt qu'un fait scientifique.

AD: Quels sont les bénéfices potentiels d'une psychothérapie assistée par la MDMA pour les adultes autistes? Quelle est la logique d'une étude clinique dans ce domaine?

NW: Beaucoup d'autistes souffrent d'anxiété sociale - une réponse de peur et d'anxiété en cas d'interactions sociales. Notre hypothèse est que la psychothérapie assistée par la MDMA pourrait aider à réduire cette anxiété.

La chose cruciale à comprendre est que l'anxiété sociale n'est pas intrinsèque à l'autisme. Des expériences sensorielles atypiques et intenses, et des styles de mouvements atypiques, sont innés au traitement neurocognitif autistique; si quelqu'un est autiste, ces expériences vont faire parti de sa réalité à un degré ou un autre. Mais ce n'est pas nécessairement le cas avec l'anxiété sociale.

Pour les non-autistes, les autistes ont presque toujours l'air "bizarres" d'une façon ou d'une autre, parfois beaucoup. En effet, comme je l'ai déjà expliqué, c'est devenu une erreur très répandue en psychologie de mal interpréter l'autisme en le considérant comme un ensemble de "déficits sociaux et déficits de la communication". Une façon plus précise et moins biaisées de considérer l'autisme consiste à voir les difficultés de communication comme venant des deux parties, autistes et non-autistes: les autistes ont des difficultés à comprendre et à communiquer avec les non-autistes, et les non-autistes ont des difficultés à comprendre et à communiquer avec les autistes. Cela parait sensé: bien sûr, c'est un challenge de comprendre quelqu'un dont le cerveau fonctionne différemment du votre. Mais puisque les autistes sont en minorité et détiennent moins de pouvoir dans la société, des difficultés de communication entre un autiste et un non-autiste sont toujours attribuées à un déficit de la part de la personne autiste. On entend rarement dire qu'une personne non-autiste souffre d'un déficit de compréhension des autistes. Comme le politologue Karl Deutsch le disait, le pouvoir est la "capacité à ne pas avoir à apprendre".

La conséquence de tout cela est que la vaste majorité des autistes subissent fréquemment un rejet social et de l'hostilité, dès l'enfance. La plupart des autistes de nos jours reçoivent le message - encore une fois dès l'enfance, que la façon dont ils pensent naturellement, la façon dont ils sentent, bougent et communiquent est mauvaise, que la personne qu'ils sont est incorrecte.

Ce rejet social constant est profondément douloureux et traumatique. Quand de telles expériences sont la norme durant la période la plus vulnérable du début de sa vie, bien sûr que cette personne va finir par voir les interactions sociales comme une expédition en terrain miné, une expérience affreuse et effrayante qui risque de se terminer par une enième expérience de douleur, d'échec et d'humiliation.

Hélas, cela devient souvent une prophétie auto-réalisatrice, puisque on ne peut pas se sentir au mieux en société alors qu'on est accablé par une peur et une anxiété écrasantes.
Donc, les expériences précoces de rejet social provoquent l'anxiété sociale, qui réduit les performances sociales, ce qui résulte en d'avantage d'expérience sociales négatives qui renforcent encore d'avantage le traumatisme.

Et c'est là que se trouve le point clé, et la source d'espoir et d'optimisme: que l'anxiété sociale, dont sont affligés tant d'autistes, n'est pas inhérente à l'autisme. Elle est d'avantage le symptôme d'un traumatisme. Et à travers le merveilleux travail que MAPS a mené avec des vétérans souffrant de stress post-traumatique, il a déjà été bien établi que la psychothérapie assistée par la MDMA peut être extraordinairement efficace à traiter les symptômes des traumatismes.

AD: Je constate que lorsque je parle à des non-autistes du travail que nous effectuons en lien avec la communauté autistique et la MDMA, certaines personnes ont beaucoup de mal à comprendre que nous n'essayons pas de "traiter" ou de "soigner" l'autisme - ce que nous traitons est l'anxiété sociale. Certains des journalistes qui ont écrit sur ce que nous faisons ont malheureusement mal compris et mal retranscrit notre travail comme étant un "traitement de l'autisme". Qu'en pensez-vous?

NW: J'ai vu ce malentendu se produire aussi. Il est d'une importance vitale que toutes les personnes impliquées dans ce travail - les chercheurs, les thérapeutes, les participants à l'étude clinique, les sympathisants de MAPS, les journalistes, et ceux qui souhaitent citer cette étude dans leur travail académique, que tout le monde soit clair quant à la distinction entre "traiter des autistes pour une anxiété sociale causée par un traumatisme", et "traiter l'autisme".

La meilleure façon de mettre fin à la confusion, je pense, est que ceux d'entre nous impliqués dans ces recherches déclarent très clairement, à chaque fois que nous nous exprimons sur ce travail qu'il ne s'agit pas de traiter l'autisme. Je le déclare ici: nous n'étudions pas du tout la MDMA comme un traitement potentiel de l'autisme. Nous étudions le potentiel de la MDMA, lorsqu'elle est utilisée conjointement à une psychothérapie, pour traiter l'anxiété sociale chez les clients autistes adultes. Nous ne soutenons pas l'idée que l'autisme lui-même est une maladie ou un trouble, et nous ne soutenons pas les tentatives de le traiter ou de le "guérir". Notre souhait est d'améliorer la qualité de vie des personnes autistes.








1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Je suis doctorante en histoire de la médecine à Aix-en-Provence, je travaille sur la reprise des études médicales sur des substances longtemps considérées comme des stupéfiants. J'aimerais prendre contact avec vous (et vous remercier pour ce travail de traduction!. Voici mon adresse mail : zoe.d@outloook.fr

    Merci d'avance!

    RépondreSupprimer