Traduction d'une Interview du Dr Richard Frye, qui a mené un essai clinique sur l'efficacité de l'acide folinique pour le traitement des troubles autistiques, interview réalisée par "N Of One: Autism Research Foundation", en octobre 2016.
Il y a quelques semaines, des articles en français sur le sujet ont circulé sur les réseaux sociaux, particulièrement celui du magasine Top Santé, qui a fait une énorme erreur de traduction dans son article, en traduisant "folinic acid" par "acide folique" (au lieu d'acide folinique). Et bien sûr, une fois qu'un magasine de l'envergure et de la fiabilité (!) de Top Santé fait circuler une telle erreur, elle devient soudain vérité pour certains (on notera au passage que Top Santé classe cet article sur l'autisme dans sa rubrique "Psycho").
Cette interview fait le point, entre autre, sur la différence entre acide folinique et acide folique. Elle fait référence à cette publication: "Folinic acid improves verbal communication in children with autism and language impairment: a randomized double-blind placebo-controlled trial" - RE Frye, J Slattery, L Delhey, B Furgerson, T Strickland, M Tippett, A Sailey, R Wynne, S Rose, S Melnyk, S Jill James, JM Sequeira and EV Quadros - Molecular Psychiatry advance online publication, 18 October 2016; doi:10.1038/mp.2016.168
Exemple d'un complément alimentaire contenant de l'acide folinique en fin d'article.
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Interview du Dr Frye:
"Le Dr Richard Frye (MD, PhD) est le directeur de la recherche sur l'autisme à l'Institut de Recherche de l'Hôpital pour enfants de l'Arkansas. Il est aussi un neuropédiatre qui donne des consultations à la clinique "Arkansas Children’s Autism Multi-specialty clinic" (voir la fiche de présentation du Dr Frye sur le site de l'hôpital pour enfants de l'Arkansas).
Le Dr Frye et ses collègues ont récemment publié les résultats d'une étude, ayant duré plusieurs années, qui démontre que l'acide folinique améliore le langage chez les autistes, ainsi que certains autres symptômes des troubles autistiques.
La fondation "N of One: Research Foundation" travaille étroitement avec le Dr Frye depuis des années et a collaboré avec lui pour co-sponsoriser la première conférence sur l'autisme et le microbiome en 2014 (voir le site web de la conférence). Nous avons récemment contacté le Dr Frye pour discuter de ses dernières recherches.
Question: Bonjour Dr Frye, et merci de nous répondre. Pouvez-vous donner un bref synopsis de l'essai sur l'acide folinique que vous venez de terminer?
RF: L'essai était un essai en double-aveugle et contre placebo, pour déterminer si l'acide folinique, un genre particulier de folate, pouvait améliorer les symptômes majeurs et les comorbidités de l'autisme. C'était un essai en "double aveugle", si bien que ni les parents ni l'équipe de chercheurs ne savaient quels enfants recevaient la capsule d'acide folinique ou le placebo.
Avant que les enfants ne reçoivent l'acide folinique ou le placebo, la sévérité des symptômes relatifs à leur autisme a été évaluée. Nos travaux précédents nous laissaient penser que l'acide folinique aurait le plus d'impact positif sur la communication verbale, aussi nous avons recruté des enfants qui avaient un déficit de langage et nous avons mesuré leurs aptitudes à la communication verbale de façon très détaillée, en utilisant des tests standardisés validés, avant tout traitement. Après 12 semaines avec soit l'acide folinique, soit le placebo, nous avons répété les mêmes évaluations de la même façon, pour déterminer s'il y avait un changement.
Q: Qu'avez-vous vu?
RF: Nous avons découvert que les enfants qui avaient reçu l'acide folinique montraient des améliorations plus importantes en communication verbale et dans d'autres comportements tels que l'autonomie au quotidien, l'irritabilité, les comportements stéréotypés, et l'hyperactivité, comparé aux enfants ayant reçu le placebo. Les résultats démontraient un bénéfice clinique significatif, mais mes collaborateurs et moi recommandons de prendre ces résultats avec prudence et ils doivent être répliqués par une étude de plus grande envergure avant d'en tirer des conclusions.
Q: Qu'est-ce que ces résultats ont de significatif?
RF: Premièrement, le traitement adresse les symptômes qui sont au coeur de l'autisme [ndlt/note de la la traductrice: "triade" autistique], pas seulement des comportements ou des problématiques médicales associés à l'autisme [ndlt: comorbidités]. Deuxièmement, ce traitement cible une anomalie clé, qui pourrait être un mécanisme biologique de base à l'origine du développement des symptômes de l'autisme. Cela signifie que ce traitement pourrait réparer la biologie sous-jacente, ce qui réduirait les symptômes. Cela pourrait être une percée médicale significative dans ce domaine. Troisièmement, nous avons obtenu ces résultats avec de l'acide folinique, une vitamine très bien tolérée et considérée comme un traitement sûr. L'acde folinique a été utilisé en oncologie pédiatrique depuis les années 1950, pour atténuer les effets adverses du methotrexate, utilisé en chimiothérapie. Donc le traitement que nous donnons est étudié depuis longtemps et son profil de sécurité est bien connu. Cela contraste avec beaucoup de traitements courants utilisés pour les enfants autistes, et dont les profils de sécurité sont moins bien connus [ndlt: neuroleptiques, stimulants...], moins étudiés, et qui peuvent provoquer des effets adverses parfois sévères.
Q: Qu'est-ce que l'acide folinique?
RF: l'acide folinique est une forme de folate, qui est aussi appelé vitamine B9. Les folates sont un genre de vitamine qui est nécessaire pour que de nombreux systèmes de base de notre corps fonctionnent correctement. Beaucoup de gens connaissent l'acide folique, qui est la forme oxydée de folate utilisée dans les vitamines prénatales, et qui est aussi ajoutée dans certains aliments et qu'on trouve facilement en pharmacie et parapharmacie. L'acide folinique que nous avons utilisé dans cette étude est une forme réduite [l'inverse d'oxydé] de folate, similaire aux sources naturelles de folates qu'on trouve dans les aliments, et qui peut pénétrer dans le cerveau via une voie différente de celle de l'acide folique, et qui peut agir sur d'autres "obstacles" biologiques qui ont été retrouvés chez les autistes.
Q: Qu'est-ce qui vous a amené à tester l'acide folinique?
RF: il y a un trouble appelé Déficit Cérébral en Folate (DCF) qui a été découvert il y a tout juste un peu plus de 10 ans. Comme de plus en plus de personnes sont diagnostiquées, il est clair que beaucoup d'entre elles ont des symptômes retrouvés dans l'autisme. Ce trouble (DCF) est causé, dans certains cas, par des auto-anticorps anti-récepteur alpha des folates (AAARAF) qui bloquent le transport du folate vers le cerveau.
Cette découverte du DCF nous a amené, un collègue et moi, à tester des enfants autistes pour voir s'ils avaient aussi des AAARAF dans leur sang. Nous avons découvert qu'il y avait une très forte prévalence d'enfants autistes avec des AAARAF dans le sang, et que certains avaient un faible taux de folate dans leur système nerveux central, tout comme les enfants avec la DCF. Cela m'a donc amené à me demander si l'acide folinique ne pourrait pas aider certains enfants autistes ayant aussi des AAARAF.
Nos essais préliminaires suggéraient que l'acide folinique aidait effectivement certains enfants. Cela a ouvert la voie à mon équipe de l'Arkansas Children's Hospital pour faire ce qui est appelé un essai en double aveugle et contre placebo. Ce type d'essai est considéré comme le nec plus ultra en médecine. Nous avons été très précautionneux dans le design de l'essai, et tous les enfants autistes n'étaient pas éligibles à y participer, il n'y a qu'un sous-groupe particulier qui répondait aux critères de sélection. C'est une chose importante à retenir, puisque ces découvertes ont été faites dans une population soigneusement sélectionnée, nous ne pouvons donc pas encore généraliser ces résultats à tous les autistes du spectre de l'autisme. Cet essai nous donne une idée du sous-groupe d'autistes qui a le plus de chance de répondre favorablement à ce traitement.
Q: Vous avez pris des mesures inhabituelles pour vous assurer que personnes ne pourrait deviner qui prenait le traitement ou le placebo. Pouvez-vous nous les décrire et nous les expliquer?
RF: C'est vraiment important de s'assurer que personne ne peut faire la différence entre les capsules contenant l'acide folinique et celles contenant le placebo. De façon à pouvoir maîtriser cette variable importante, j'ai demandé au fabriquant de faire de son mieux pour fournir des capsules identiques. Comme étape supplémentaire et spécifique à cet essai, nous avons demandé à différents groupes de personnes (scientifiques, techniciens...) s'ils pouvaient distinguer une différence. Ils ne le pouvaient pas. Je remercie mon équipe d'avoir eu cette idée, parce que je n'ai jamais vu cela dans un autre essai clinique et au final cela nous rend encore plus confiant dans le fait que cet essai est bien en aveugle.
Q: Quels sont les effets secondaires qu'on peut voir avec l'acide folinique?
RF: dans l'ensemble, l'acide folinique a été bien toléré et nous n'avons pas vu de différences significatives dans les effets adverses reportés dans les différents groupes d'enfants ayant reçu l'acide folinique ou le placebo. Dans notre étude précédente, nous avions observé que quelques patients qui prenaient des médicaments anti-psychotiques semblaient plus irritables quand ils prenaient de l'acide folinique, aussi nous avons décidé d'exclure de la sélection les enfants prenant des anti-psychotiques. Nous avons aussi exclu de la sélection les enfants très irritables, juste pour un maximum de sécurité. Bien que nos observations précédentes n'aient été faites que sur quelques patients, d'avantage de recherches est nécessaire pour voir si les patients prenant des antipsychotiques deviennent en général plus irritables en prenant de l'acide folinique.
De plus, autant dans ma pratique que dans cet essai, nous avons commencé par donner la demi-dose du traitement pendant les deux premières semaines, parce que nous savons que certains enfants peuvent devenir plus hyperactifs en début de traitement. Cela tend à être temporaire et à disparaître au bout de quelques semaines. Il est intéressant de noter que dans l'ensemble, l'attention et l'hyperactivité semblait s'améliorer au bout de 12 semaines de traitement avec l'acide folinique.
A la clinique, je constate aussi que des enfants qui prennent des formes d'acide folinique du commerce (non-combinée?), peuvent avoir des douleurs gastriques, de l'hyperactivité, ou de l'irritabilité. C'est ma conviction que cela peut être dû à une réaction ou à une sensibilité aux additifs de ces formes de médicaments, quoi que nous avons besoin d'étudier ça plus en détail. Dans notre première étude, nous avons utilisé une marque d'acide folinique qui était en tablette, et non une forme (combinée?) en capsule. Nous avons vu d'avantage d'irritabilité dans cette première étude que dans la plus récente. C'est pour cette raison que cette étude utilise une forme (combinée?) d'acide folinique, sans additifs (sans colorants, sans lait...).
[détail de la forme d'acide folinique utilisée: "sel de calcium de l'acide folinique", aussi appelée "sel de calcium de l'acide 5-formyl tétrahydrofolique", ou "leucovorin calcique" ; 2mg/kg de poids/jour, maximum 50mg/jour, divisé en 2 doses égales, pour 2 prises/jour, la moitié de la dose seulement étant donnée durant les 2 premières semaines, garantie sans colorant, sans lait, capsules végétariennes, produites par Lee Silsby Compounding Pharmacy -
("International Nonproprietary Name: DL folinic acid calcium salt; United States Adopted Name: leucovorin calcium) was 2 mg kg−1 per day (maximum 50 mg per day) in two equally divided doses with half of the target dose given during the first 2 weeks. Dye-free, milk-product-free, vegetarian capsules were provided in three strengths (5, 10 and 25 mg) by Lee Silsby Compounding Pharmacy (Cleveland Heights, OH, USA). Certificate of analysis was provided for each capsule strength by an independent analytical service (Eagle Analytical Services, Houston, TX, USA) for each batch of capsules produced. In all cases, potency was at least 99%."]
Q: Vous dites que le problème biologique que vous traitez est un taux faible de folate dans le cerveau, mais la seule façon de dépister ce problème est par le biais d'une ponction lombaire, une procédure douloureuse, invasive et coûteuse. Pensez-vous qu'il est nécessaire de dépister ce problème ou bien est-il possible de prendre de la Leucovorine (acide folinique) "pour voir"?
RF: c'est la raison pour laquelle je suis fan des biomarqueurs AAARAF. Notre étude démontre que ce biomarqueur peut aider à prédire qui répondra au traitement, rendant la ponction lombaire inutile, au moins dans la plupart des cas. Mon équipe et moi sommes impatients de démarrer une nouvelle étude de plus grande envergure dans laquelle nous pourrons étudier d'autres biomarqueurs de façon à rendre la prédiction plus fiable. C'est ma conviction, en tant que médecin, qu'il y aura des cas compliqués pour lesquels certains praticiens, y compris moi, pourront penser qu'une ponction lombaire est nécessaire, mais heureusement, nous pouvons limiter le nombre d'enfants nécessitant cette procédure.
Q: Comment peut-on faire tester les AAARAF? Est-ce un test que tout médecin peut prescrire?
RF: les AAARAF peuvent être mesurés par certains laboratoires comme Ilia Neurosciences avec le test FRAT (Folate Receptor Antibody Test).
Q: Avez-vous vu des améliorations chez les enfants qui n'avaient pas les AAARAF?
RF: Absolument. Un marqueur prédictif signifie simplement qu'il peut identifier les enfants qui ont statistiquement plus de probabilités de répondre favorablement au traitement. Mais nous voyons aussi des enfants négatifs aux AAARAF qui vont mieux avec un traitement d'acide folinique. Il y a de nombreuses raisons biologiques, scientifiques, médicales pour lesquelles un enfant peut répondre positivement à l'acide folinique en l'absence d'AAARAF. Pour chaque patient, il est préférable de discuter des bénéfices et des risques d'un traitement d'acide folinique avec un médecin qui a une bonne compréhension de la science et de la littérature médicale, de façon à déterminer si un enfant qui est négatif aux AAARAF pourrait bénéficier d'un essai thérapeutique d'acide folinique.
Q: A la fondation "N of One" nous insistons sur la recherche qui s'appuie sur des études de cas [ndlt: étude détaillé du cas d'un seul patient] et qui s'en sert pour faire des liens entre différentes problématiques qui semblent sans rapport de prime abord. Y a-t-il eu un cas en particulier qui vous a permis d'avancer dans votre recherche?
RF: Oui, en effet. Nous avons fait la connexion entre le Déficit Cérébral en Folate (DCF) , les AAARAF et l'autisme en grande partie grâce à un patient en particulier. Il y a environ 7 ans, j'ai reçu à ma clinique pour l'autisme un patient avec une variété de symptômes qui semblaient aussi correspondre au DCF. Les analyses montrèrent en effet un taux bas de folate cérébral et lorsque nous l'avons traité avec de l'acide folinique, nous avons vu de nombreuses améliorations de ses symptômes d'autisme. C'est cette expérience qui nous a menée à nous interroger sur la possibilité que le DCF et les AAAFAR soient des facteurs présents chez d'autres autistes.
Q: Y a-t-il autre chose que vous souhaitez ajouter?
RF: Sur un plan personnel, j'aimerais remercier John Rodakis et la "N of One: Autism Research Foundation" pour leurs efforts pour soutenir la recherche médicale dans le domaine de l'autisme, pour leur travail pour transmettre le message au public, particulièrement aux parents qui ont besoin d'information parce qu'ils ont des enfants qui ont besoin d'aide. C'est cet effort citoyen qui porte ses fruits et c'est un plaisir de pouvoir prendre le temps de faire cet interview.
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Exemple de complément alimentaire qui contient de l'acide folinique:
B Complex #12, Thorne Research
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